Oï oï oï, c’est pas de chance : un réalisateur veut faire un film sur la rédemption de ce monstre moderne qu’est le Français, pardon, le skinhead, et voilà que les réseaux sociaux lui mettent des bâtons dans les roues, faisant trembler les exploitants de salles. C’est à désespérer de la liberté (d’expression) de dénoncer… toujours les mêmes. C’est vrai quoi, une poignée de skins terrorise 66 millions de citoyens depuis des décennies et personne fait rien. Quel incroyable pouvoir !
- « Les gens d’extrême droite semblent vouloir se refaire une virginité, je ne vois pas bien l’intérêt qu’il y aurait pour eux à casser des salles de cinéma. » (Diastème dans L’Obs du 10 juin)
Diastème donne le ton :
« Le film est l’histoire d’une bande de potes. C’est atroce à dire, mais aucun n’est caricaturé. Je me suis appliqué à les comprendre tous, aussi terrifiants soient-ils. »
Et maintenant le synopsis par UGC :
« Marco est un skinhead, un vrai. Avec ses copains, Braguette, Grand-Guy, Marvin, il cogne les Arabes [Tiens, on croyait que c’était les Américains qui cognaient les Arabes depuis 1991, NDLR] et colle les affiches de l’extrême droite. Jusqu’au moment où il sent que, malgré lui, toute cette haine l’abandonne. Mais comment se débarrasser de la violence, de la colère, de la bêtise qu’on a en soi ? C’est le parcours d’un salaud qui va tenter de devenir quelqu’un de bien. »
La dernière phrase est de Diastème, journaliste devenu réalisateur. Elle figure dans le dossier de presse du film mort-né, selon lui, Un Français ayant déjà été refusé à Cannes :
« Il ne fera pas d’entrées dans les salles, alors qu’on n’arrête pas de me dire, depuis que les premières projections ont eu lieu, que c’est un film “important”, un film “nécessaire”, un film “que les gens doivent aller voir”, un film avec une “actualité et un engagement”. Liberté d’expression qu’ils disaient ! » (OZAP du 9 juin 2015)
Le lobby skin a gagné
Le 26 mai, sous la pression, communiqué du distributeur Mars Film (avec les fautes d’OZAP) :
« “Depuis plusieurs semaines, le film de Diastème ’Un Français’ fait l’objet, sur les réseaux sociaux d’une spéctaculaire campagne de haine attisée par des commentaires violents, agressifs et menacants autour de sa bande-annonce”, avance la societé de distribution, avant d’affirmer que “le nombre de copies a été ramenée à 60 afin d’optimiser au mieux chaque copie et de valoriser chaque salle diffusant le film”. »
Oh qu’il est puissant, le lobby skin. Il a eu la peau d’un film « nécessaire », qualificatif normalement utilisé par la critique lorsque Arcady sort son navet casher. Une œuvre nécessaire… et pédagogique. On attend la directive de la collégienne fêlée en charge du ministère de l’Éducation nationale socialiste, qui va pousser 3 330 300 collégiens et 2 129 200 lycéens dans les salles pour faire face au danger des dangers.
« Mais les “réseaux sociaux s’enflamment”, intervient Jean-Michel Aphatie. C’est vrai, il y a eu des dizaines de tweets en soutien à Un Français et à son réalisateur. Mais on ne trouve en remontant la timeline qu’un seul post qui peut inspirer sinon la crainte, au moins le dégoût. Il renvoie à un texte sur le site d’Alain Soral, qui réussit en trois paragraphes à introduire une forte dose d’antisémitisme dans ce qui se voudrait être une dénonciation de l’aide gouvernementale à un film relevant de "la stigmatisation du prolétaire patriote blanc « de souche »" (pas de lien pour ce post-là). Deux autres publications sur des sites d’extrême-droite sont d’une prudence intrigante. » (Thomas Sotinel, Le Monde du 9 juin 2015)
- Autant Diastème a l’air fatigué, mou et flou, autant son Marco a l’air tonique, déterminé, et maître de sa vie.
Pour mettre un terme à cet interminable et minable débat, nous sommes allés voir le film. Sept personnes dans la salle de 300 places à 13h40 mercredi 10 juin, dont deux militants d’extrême gauche, qui parlent de « la violence ». Aucune émeute, aucune descente de division SS Viking. Première moitié du film aérienne, la seconde gros sabots. La partie Marco le skin impitoyable est réaliste, vivante, documentaire. La partie Marco le socialiste atteint de rédemption, loufoque : Marco souffre de voir ses amis infliger de la souffrance gratuite (ils ne se font pas payer), il subit une crise d’angoisse, qu’un pharmacien vient calmer. Un père de remplacement pour celui qui n’a pas eu de chance dans la vie. Pensez donc, papa picole et pisse dans son futal, pendant que maman, une sainte de HLM, se sacrifie. Bonjour l’image des petits Blancs. Malgré les clichés, Un Français renferme un début lumineux, très au-dessus de La Haine, tiré par un impressionnant Alban Lenoir, ambivalent dans ses violences/silences, et une résolution tragi-comique.
Mieux vaut vivre un jour comme un lion que cent ans comme un mouton (proverbe)
Si l’objectif est de transformer tous les prolos skins en bobos socialistes, Diastème a loupé son coup : aucun des « fachos » en herbe qui vont télécharger le film dès qu’il sera disponible (ils ne payeront jamais un euro pour de la propagande antifasciste aussi manichéenne) n’aura envie de changer de (troisième) voie. Sans le vouloir, comble du film de commande politique, Diastème réalise un long métrage profondément profasciste, qui montre que l’action, même désespérée, vaut mieux que le désespoir passif, symbolisé par Marco, devenu humain, mais abandonné de tous, qui coupe ses carottes dans son HLM avec un gros couteau. Il est loin le hachoir du guerrier des débuts…
Erreur politique de débutant ! En outre, le réalisateur force son spectateur à bien-penser à coups de batte émotionnelle dans la gueule ; Marco fait la même chose, mais de manière plus droite, moins manipulatrice. Du coup Diastème perd sur les deux tableaux : et sur la crédibilité, et sur le message, l’alliance des deux faisant l’impact sans égal du cinéma américain. En continuant sur sa lancée réaliste, sans seriner la punition divine sous forme de vie de merde (la déprimante soumission sociale comme salut), son film aurait cartonné.
- La pulpeuse Raphaëlle traque les skins
Il ne cartonnera pas. La liberté d’expression est morte. Que dire, que faire, après ça. Une minute de silence, peut-être. Dans ce climat de terreur, au plus profond de la nuit, une poignée de journalistes bravent la peur et signent peut-être leurs plus beaux papiers, écrits avec des larmes et du sang.
Ainsi, la troublante Raphaëlle Bacqué, qui vient de sortir une bio de Richard Despoings (ou Descoings, l’ex-patron de Sciences Po mort de vieillesse dans un hôtel new-yorkais avec deux jeunes amis qui ne sauront pas le ranimer, le bouche-à-bouche ne pouvant rien contre un arrêt cardiaque), narre avec effroi l’histoire des skinheads français en soulignant leur dangerosité : des « garçons effrayants », des « fachos violents », un « comportement inconciliable », des « groupes radicaux », une « extrême droite raciste », du « rock néonazi »… Les scoops s’enchaînent sous la plume de Raphaëlle, qui a été très très loin dans son enquête. Elle a ainsi osé appeler – comme le combiné du téléphone en bakélite a dû peser lourd dans sa main gracile ! – Serge Batskin, alias Ayoub, le roi des skins français. Et on vous le donne en mille, elle s’est fait gronder. Mais le danger le plus grave plane aujourd’hui sur Diastème, surnommé « petite cible » par le réseau néonazi clandestin. Va-t-on revivre l’éprouvant épisode de Charlie Hebdo ? Le Mossad devra-t-il l’éliminer pour grossir le danger ?
Grossir le danger skinhead (30 bonhommes à Paris dans les années 80), c’est un peu le boulot des médias depuis 30 ans. Les passerelles entre le FN, le DPS (son ancien département sécurité) et les crânes rasés étant avérées – ces derniers étant parfois des nostalgiques du IIIe Reich –, le lien entre le Front national et Adolf Hitler était fait : la presse tenait sa preuve, on pouvait hitlériser Le Pen. Et on ne se gêna pas. Depuis, l’image monstrueuse du mouvement skin est régulièrement entretenue, comme la flamme du Soldat inconnu, histoire de « ne pas oublier ». Encore un devoir de mémoire. Parce que sans eux et leurs conneries (trois morts en 30 ans et des cassages de gueules, inexcusables bien sûr, à comparer aux exactions de milliers de racailles défendus par les socialistes depuis 1984), plus de chaînon manquant !
Terreur skin sur la France : le skinoterrorisme
- « Nous sommes skinheads, bêtes et méchants, et le pire de tout, c’est qu’en plus on est contents ! »
Le 2 novembre 2014, Enquête exclusive frappe fort : alors que le pays compte six millions de chômeurs et bien 12 millions de pauvres (sans compter les non-inscrits), de La Villardière choisit de focaliser sur 12 militants néonazis authentiques, le reste appartenant aux RG (ou à la DCRI). Il est vrai que le sujet est vendeur, et que les socialistes ont besoin d’un vrai repoussoir d’extrême droite (le FN ne fait plus assez peur) pour rabattre le vote de la peur dans leurs bras en 2017. L’idée étant : craignez le nazisme… plus que le chômage ! Or, pour l’instant, le chômage, qui dévaste des régions entières, fait un peu plus de dégâts que le néonazisme en France.
Bernard nous emmène dans le 9ème cercle de l’Enfer, grâce à la technique dite de la caméra cachée. Nous sommes au cœur du volcan de la Haine de la Supériorité Aryenne. On consulte notre montre à gousset – achetée une blinde à Julien Dray lors d’une vente aux enchères –, l’Armée rouge ne devrait pas tarder à arriver.
En fait de SS Totenkopf qui ravagent les campagnes, on se retrouve à patienter gentiment devant la salle des fêtes de Succieu, un charmant petit village du sud-est de Lyon. Il fait beau, le journaliste de M6 en camcach paye ses 15 euros et entre… dans l’antre de la Bête. À l’intérieur, selon la voix off, 200 néonazis. On compte une quinzaine de tee-shirts rouges « Blood & Honour », la devise des jeunesses hitlériennes, qui assurent le service d’ordre, et quelques dizaines de gus, probablement déjà tous fichés par Reflex, ces fonctionnaires du ministère de l’Intérieur déguisés en militants gauchistes purs et durs.
- Imaginez des Corses faire pareil…
Il n’y a là que des prolos « de toute l’Europe », dont deux Slovènes. L’un d’eux s’exprime, sans savoir qu’il est enregistré :
« Chuis choqué, à Lyon y a trop de musulmans, trop de nègres, trop de juifs. »
Le journaliste infiltré (on espère qu’il n’interroge pas des flics infiltrés) :
« Et en Slovénie, y en a pas ?
– Non, on doit avoir une vingtaine de juifs, une vingtaine de nègres, et à peu près mille musulmans, c’est tout. Ils savent où est leur place, ils ne se montrent pas trop… Blood and Honour est fort en Slovénie, donc ils font pas les malins avec nous. »
Mais il n’y a pas que les Slovènes de Succieu qui disent des horreurs, il y a aussi les Jeunesses nationalistes de Paris. Le off fait bien de nous avertir :
« Ils ont une vision particulièrement choquante de la capitale, et leurs propos sont très violents. »
Un skinhead se lâche dans la nuit :
« C’est une ville remplie de putains de nègres, de putains de juifs… Et en haut les pédés… Les mecs ils marchent la main dans la main comme ça, les fils de pute, les mecs ils viennent faire ça dans ma campagne, on les tabasse, on les dépouille. »
Cette méchanceté explique peut-être l’exode rural massif des homosexuels vers le Marais, une concentration de mauvais augure.
Skinophobie française
- Faut-il avoir peur d’Enquête exclusive ?
Après avoir fait le tour des méchants, on passe à l’explication sociopolitique. Elle échoit au spécialiste Nicolas Lebourg, chercheur à l’Observatoire des radicalités politiques, plutôt mesuré dans ses propos. Ça change de Jean-Yves Camus.
Lebourg :
« Aujourd’hui la grande question pour les nationalistes c’est évidemment la présence d’Arabo-musulmans en France… L’opposition à l’islam ça peut servir de vecteur d’union, à chaque fois il vous faut un ennemi commun. »
Lebourg note, par rapport aux années 60, « la prolétarisation de l’extrême droite », pour nous rassurer aussitôt :
« C’est un milieu qui est bien surveillé. »
Selon lui, l’extrême droite radicale rassemble en France 3000 personnes, et n’a donc pas d’avenir en soi, « mais elle peut fournir des cadres à des partis politiques… des idées à des partis politiques ». Alors à quoi servent ces groupes ? « Ils sont un bon thermomètre de la société française », car leurs thèmes finissent par entrer dans le débat. Lebourg, premier spécialiste des extrêmes à ne pas faire dans la psychose hystérique, reconnaît :
« Il faut savoir que les cadres néofascistes sont souvent de bons cadres… Chez les Identitaires il y a de très bons cadres qui savent faire tourner une section… Sur les listes Bleu Marine, il y a 50 membres du Bloc identitaire. »
- Phrase qu’on pouvait lire dans le portrait de Serge Ayoub par Libé du 13 juin 2013, après la mort de Clément Méric : « Le leader des JNR et de Troisième Voie nie aujourd’hui tout lien avec le IIIe Reich. »
La Villardière :
« Est-ce que le fait que le Front national se banalise n’ouvre pas justement le champ à cette extrême droite radicale ?
– La normalisation du Front national elle a pu donner un peu d’énergie aux groupuscules de l’extrême droite radicale, en particulier on le voit c’est les militants les plus soucieux de l’idée d’un complot juif sur la France, qui considèrent que la ligne de Marine Le Pen n’est pas supportable, les signes qui ont été donnés sur la question du négationnisme, vis-à-vis d’Israël, etc., sont considérés une trahison politique, pour ceux-là… Maintenant est-ce que les masses en France sont extrêmement soucieuses d’un complot sioniste planétaire ou si elles sont plus soucieuses de leur pouvoir d’achat, de leur travail et de leur sécurité au quotidien, il me semble que les thèmes quand même portés par l’extrême droite radicale ont pas énormément d’impact politique, elles ont un impact culturel plutôt.
– Mais cet impact culturel il peut être un danger pour la République, à terme ?
– On a dans toutes les enquêtes d’opinions depuis 20 ans non pas vraiment des préjugés racistes qui montent, ce qu’on a c’est le sentiment que la France se fragmente en communautés et que celles-ci vont vers quelque chose d’hostile entre elles, quelque chose de violent entre elles. »
Skinheads : les derniers romantiques ?
Fin des années 80, une dizaine de skins squattaient le métro Nationale, poussant parfois jusqu’à la porte d’Orléans, terrorisant deux millions et demi de Parisiens. Depuis 1984, le pouvoir socialiste et une gauche pas si angélique signaient un blanc-seing aux racailles des cités, dont les exactions étaient systématiquement niées par une presse aux ordres. En 1995, le film de Mathieu Kassovitz, La Haine, osait présenter le danger sous la forme d’une poignée de skinheads – heureusement défaits par les racailles – et de sales flics racistes anti-jeunes. Lourd symbole de la défaite de la France et de ceux qui tentaient, avec plus ou moins de maladresse, de défendre ses valeurs. 30 ans après ce régime (juridique, médiatique et politique) de faveur, le permis d’agresser existe toujours, et plus personne ne sait comment faire rentrer la mayonnaise dans le tube.
Le fantasme skinhead, lui, a de plus en plus de mal à prendre. Heureusement, les islamo-racailles sont venus au secours du pouvoir. Après Marco, héros d’Un Français, on attend le film de Diastème, ce nouvel Arcady, sur le repoussoir suivant : les frères Kouachi. On peut même lui souffler un titre : Des Français ?